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Chaise Espagnole de Louis Süe ou André Groult ?

Il en était au lendemain de la Première guerre mondiale de la Compagnie des Arts Français comme, au 18e siècle, de la Com-pagnie des Indes, laquelle faisait commerce, entre les colonies d’Extrême-Orient et la France, de produits manufacturés n’ayant d’autre rapport avec le goût des pays où on les fabriquait que l’idée qu’on s’en faisait chez nous. Cette association artistique, créée autour de 1919 par deux décorateurs français, Louis Süe et André Mare, produisait et vendait meubles et objets de la maison se targuant d’être nationaux par leur style, comme ceux de la Compagnie des Indes étaient chinois.

Si les amateurs d’Art Déco connaissent l’estampille Süe et Mare, ils sont moins nombreux à connaître les créations de ces artistes avant leur association. La personnalité du second a été mise plus en avant, du fait peut-être de ses talents multiples -il était un peintre intéressant, qui aurait pu trouver sa place entre les Nabis -et d’une inventivité plus originale sans doute que celle de son compagnon. On s’est moins soucié de la carrière de ce der-nier, avant l’époque qui nous intéresse ici, et qu’il y eut un Louis Süe, avant sa collaboration avec André Mare pour La Compagnie des Arts Français.

Il y a pourtant un coin dans Paris qui en témoigne. Entre l’Observatoire et l’Avenue Denfert-Rochereau, ce bout de rue Cassini, où trois maisons destinées à des artistes, comme le montrent les hautes verrières plein-nord de leurs ateliers, tra-duisent l’éclectisme architectural en ce début du 20e siècle. Elles ont été construites entre 1903 et 1906, par ce même Louis Süe et l’architecte Paul Huillard. Leurs destinataires, les peintres Lucien Simon, Jean-Paul Laurens et Paul de Czernichowski, aux numéros 3bis, 5 et 7 de cette rue tranquille, ont opté successivement : pour une façade Art Nouveau à la linéarité très bruxelloise (une façon Van de Velde) où dominent les ouvertures ; un palazzo florentin du temps des Médicis, avec un grand mur presque aveugle en briques rouges, dans lequel ont ultérieurement été percées des fenêtres, couronné d’un encorbellement ; enfin, une gloriette en pierres de taille marouflées, dans ce pseudo-classicisme un peu mécanique et froid qui sévissait alors dans le monde de la banque et la grande bourgeoisie. Vers la fin du 19e siècle, on a vu un petit nombre de jeunes créateurs européens affirmer que la création artistique était un tout, un ensemble, et ses différentes expressions solidaires et interdépendantes, quel que soit leur domaine d’expression, qu’il s’agisse d’architecture, d’arts plastiques ou des objets destinés à la vie courante. La hiérarchie des arts, promulguée en règle depuis la Renaissance, s’en est vue complètement bouleversée. L’Art Nouveau, le premier, a mis en application cette nouvelle vision et l’on a vu, dans les expériences d’un Van de Velde, Guimard, Charpentier ou Lavirotte, le même architecte qui avait conçu la maison se charger de concevoir sa décoration inté-rieure, de dessiner son mobilier et même des détails infimes, tels qu’un bouton de sonnette ou une poignée de porte, un vitrail d’imposte, un tapis de couloir... On a appelé ensembliers ces artistes dont les innovations ont abouti, après la grande exposition de 1925, à ce qui fut, par la suite, l’Art Déco. Louis Süe est né à Bordeaux, en 1875, dans une famille de médecins et de négociants en vins, qui aurait compté dans sa descendance le romancier populaire Eugène Süe. Doué pour les mathématiques, il envisage sérieusement une carrière d’ingénieur et veut entrer à l’Ecole polytechnique, puis il change d’avis et c’est à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris qu’il s’inscrit à vingt ans, dans la section Architecture. Ce sera sa formation d’origine, bien qu’il s’en soit souvent écarté pour obéir à un talent certain et reconnu pour la peinture. Fervent admirateur des Impression-nistes, il expose pour la première fois ses œuvres au Salon des Artistes Indépendants de 1902. Cette année-là (ou la suivante) il s’associe avec son camarade d’école, Paul Huillard (1875-1966), pour leur première production architecturale commune avec les maisons de la rue Cassini. Dans le fonds d’archives de Louis Süe (1), au milieu de l’inventaire de ses premières œuvres -ces trois maisons d’artistes, un salon de présentation et une «salle fraîche» (ou jardin d’hiver) dans l’hôtel de couture de Paul Poiret à Paris en 1909 ; un kiosque de jardin avec les plans d’un ou deux immeubles de rapport, -je relève la présence d’une chaise, répertoriée entre 1903 et 1912 (n° 30/ 11 du catalogue) qui pourrait faire partie du fumoir-bibliothèque exposé au Salon d’Automne de 1912 (n° 30/ 17) : auquel cas, ce serait elle (ou sa petite sœur) que j’ai trouvé un matin d’hiver, sur le trottoir de la porte de Vanves, dans des condition assez rocambolesques. Vanves, le plus snob des déballages de Paris. On peut en compter de plus chics ou plus bobos dans de meilleurs quartiers, mais pour la clientèle sélecte, non ! Il n’y a qu’un samedi matin, sur le trottoir humide de l’avenue Sangnier, au milieu de la cohue disparate qui se dispute de vieilles hardes, pour entendre des phrases comme celle-ci : « Nous ne nous rencontrons, cher ami, que vous ne me disiez que vous vous apprêtiez à partir ! » J’y ai croisé -certes pas à l’aurore -l‘héritière d’une grande marque automobile, vieille famille italienne et amie personnelle d’un pape, plus mal nippée que le pauvre hère à qui elle marchandait, avec un aplomb et un « tu » si populaciers qu’un témoin l’eût prise pour une zonarde employant ses derniers sous à satisfaire une folie, un clystère en cuivre dont elle comptait faire, peut-être, un pied de lampe. Mais Vanves connait son monde et il n’y a qu’elle pour penser qu’elle donne ici le change. Connue pour collectionner les bouteilles anciennes, ce sera quinze euros et pas un cent de moins, pour un vieux flacon de Bénédictine qui a perdu son bouchon. Face à une telle cruauté, l’avarice affecte l’expression même du désespoir. Lorsqu’elle se sera éloignée, son achat entortillé d’un vieux journal sous le bras, le marchand soupirera tout haut : -« Je me suis encore fait filouter cinq balles, par l’ambassadrice du Saint-Siège ! » -« C’est pour ses aumônes…» lui rétorquera goguenarde sa voi-sine de stand. La Porte de Vanves, où l’on sentait autrefois encore un peu la zone, peut-être à cause des remblais de la voie du chemin de fer. Une longue rue vient s’y jeter à gauche, parallèle du boulevard Brune : l’avenue Sangnier, bordée côté boulevard par de grands immeubles en briques jaunasses aux allures de casernes ; de l’autre par le lycée François Villon et des terrains de sports. Ceux-ci étant fermés le week-end ou en activité réduite, ce bout de trottoir est devenu pour ce temps un marché aux puces très fréquenté. Le samedi matin, avant même que l’aube s’annonce, alors qu’il fait encore nuit noire sur le pavé, des groupes fébriles s’activent autour de tas qui semblent plus d’une décharge publique que d’un étalage d’objets. Des êtres hâves, aussi emmitouflés l’hiver que des nomades de la steppe d’Asie centrale, sortent de voitures ou de camionnettes des choses informes que d’autres, aussi fébriles et silencieux, se disputent à la lueur des torches élec-triques. Ceux qui n’en ont pas profitent éhontément de la lumière du voisin pour fouiller, soulever, retourner, ce qui se jette par brassées sur le trottoir. « Un ou deux euros ? Cinq ! grand maximum… Je ne vous en donne pas plus ! Dîtes-moi, ce que vous en voulez ? » -« Mais vous n’y êtes pas, mon bon môssieu : Cent ! Cinq cents ! Mille euros ! et cache, et je n’en bougerai pas ! » Autour de la lampe à gaz posée sur une couverture ou un gros plastique humide qui sert de fond d’écrin à ce fatras ; quand il gèle, autour d’un brasero ou d’un chauffage électrique branché sur une batterie de voiture, les enchères s’emballent entre déballeurs et emballés. En général, les marchands de Vanves sont des écumeurs de greniers et de brocantes assez bien informés ; c’est pourquoi on peut y trouver, à des prix parfois raisonnables, des choses rares ou recherchées par les amateurs… Il est des heures trompeuses sur le trottoir, lorsque le petit matin péniblement se lève en hiver, dans le faux-jour crépusculaire, et que la fatigue et la frustration prennent le pas sur le bon sens. Il convient alors de dompter ses emballements. La meilleure pêche s’y fait quand il pleut ! Car, si certains veulent tenir leur marchandise au sec, sous des bâches en plastique ou des auvents de fortune, parce qu’ils savent qu’elle a une certaine valeur et que, s’ils ne l’ont pas vendue aujourd’hui, ils la vendront le samedi suivant ; le déballeur ignorant ou pressé d’argent se fiche complètement qu’elle soit trempée, car il veut s’en débarrasser au plus vite et n’envisage pas d’avoir son bout de trottoir à louer, la semaine prochaine. Il se laissera ainsi exploiter indignement par l’acheteur rapace et sans scrupules. De tous les Vanves de l’année, les pires sont ceux qui ont lieu vers la fin de l’hiver, lorsque les températures retombent et que l’humidité vient renforcer la morsure du froid. Dans ce coin de rue exposé à tous les vents, on verrait presque alors, à travers les filoches de brume, le vert-de-gris se déposer comme le masque de la Mort sur les vendeurs qui stationnent le long des grilles des terrains sportifs. Ce qu’on leur achète en garde un remugle per-sistant et suspect, mélange de bois pourri et de champignon en délitescence, qui fait entrer chez soi la bouffée tonique d’une promenade en forêt. Au prochain carrefour, le marché bifurque pour se diriger vers le périphérique. Quelques stands intéressants autour de la roulotte qui sert des cafés et des gaufres ; et puis, à mesure qu’on avance vers le pont sur la voie rapide, la débâcle : les fripes remplacent la brocante, les vieux ustensiles ménagers les choses anciennes, les saisies de contrebande la marchandise pour amateurs. A partir du pont, une espèce de souk tient encore quelques mètres... On vient certes à Vanves pour dénicher l’occasion, mais aussi pour se raconter des histoires, public comme marchands. Aussi, passé le moment d’’effervescence du déballage et le jour installé dans le ciel avec les dernières choses sorties des camions, y est-on presque à la promenade, souvent en groupe, le verbe haut mais l’œil encore et toujours aux aguets. J’avais aperçu, environ une heure plus tôt, dans la pénombre du jour qui se levait, une table ronde et des chaises basses, recouvertes d’un gros badigeon de peinture blanche, brillante, genre Ripolin, comme ça se faisait avant la guerre dans le mobilier de cuisine. On avait renforcé le fond des sièges avec un contreplaqué grossièrement cloué et peint à l’avenant. Rien qui pousse à s’en approcher, encore moins à interroger le marchand. Une chaise avait cependant attiré mon attention, parce qu’elle avait un dossier qui n’était pas comme les autres. Sous l’empâ-tement de la grosse peinture, on distinguait le cloisonné d’un panier contenant des roses, ainsi qu’un motif de passementerie et des croisillons typiques du premier style Art Déco. Je pensai notamment à André Mare, peut-être à cause des grosses fleurs ou plutôt de la cordelière sur la bordure supérieure, en forme de chapeau de gendarme, comme celui-ci l’a souvent employé dans ses dossiers, qui s’enroulait aux extrémités pour former une boucle s’engageant de face dans une boutonnière, pour ressortir sur le côté avec un joli pompon à chaque bout. Je possède de cet artiste un petit écran de cheminée qui montre le même souci de raffinement, sans aller à ce détail féminin et vestimentaire, plus approprié à un Louis Sue, Paul Iribe, Armand Rateau ou André Groult, que des confrères jaloux surnommaient « les cou-turières ». Peut-être, parce qu’ils travaillaient beaucoup pour les grandes maisons de mode. Bien que cette chaise fût noyée dans sa grosse peinture blanche, ce qui rendait presque impossible un avis rationnel, je n’avais pas oublié ce détail et je me proposais de l’examiner de plus près, en revenant à passer ultérieurement devant le stand en question. Aussi fus-je surpris de constater que, si le mobilier de cuisine était toujours à sa place, il y manquait la chaise qui m’avait intriguée. « Elle est vendue ! » c’est la seule explication que me donna le marchand. Il ajouta que je pouvais avoir le reste. L’affaire était classée pour moi. Ainsi vont les choses… Je refais pour la troisième ou quatrième fois le tour complet du marché. Ce n’est pas que le temps soit propice à la promenade -il fait un petit jour gris et bruineux - ; mais les autres puces, celles de Saint-Ouen, à l’autre bout de ma ligne 13 du métro, n’ouvrent pas le samedi avant dix heures et comme j’ai l’habitude de m’y rendre directement après, il me faut attendre encore un peu : et puis, c’est justement dans ces moments perdus qu’on trouve la perle rare… C’est ce que je me dis pour me donner du courage. Je me dirige vers le périphérique, sans prêter attention à rien, sinon avec la ferme intention de ne pas pousser jusqu’au souk, et soudain, je la vois, ma chaise, toute seule, sur le dos renflé du pont, au-dessus du trafic. Je fonce sur elle, sans réfléchir… Ce qui ne semble visiblement pas plaire à sa propriétaire. Une virago enfiévrée surgit je ne sais d’où, le front bas sous une crinière noir corbeau hérissée par la colère, la voix grondante, pour moi ou pour la personne avec qui elle est au téléphone ? Je suis rapidement fixé, en l’entendant doublement crier dans le portable qu’elle tient contre son oreille : -« Et toi-là ! Bas les pattes de ma chaise !... On est en train de me voler, pendant que je vous parle ! » C’est l’ambassadrice du Vatican en personne, qui commande un taxi pour rentrer chez elle avec son achat. Elle n’a pas du tout l’intention de s’en séparer, loin de là ! mais elle est flattée que quelqu’un apprécie son goût. Elle a retrouvé son calme et nous échangeons quelques paroles sur sa trouvaille, dont elle m’avoue ne pas savoir encore ce qu’elle va en faire. Elle l’a trouvée simplement « mignonne » ! me confie-t-elle. Je me demande, tout en l’écoutant, si elle m’a reconnu ? En effet, nous travaillons dans le même journal, depuis dix ans au moins. Il faut dire, qu’elle y vient si peu ! Cette promiscuité semble pourtant se frayer un chemin à travers les nuées orageuses qui se dissipent dans son esprit -peut-être est-elle plus lente qu’un autre à recouvrer la mémoire ? Elle en laisse pourtant rien paraître, sinon un léger radoucissement dans la voix. Deviendrait-elle aimable ? Il faut dire que ma proposition, en vue de récupérer cette chaise -ce n’est pas qu’elle fût mirobolante -lui ouvre une perspective de gain inattendu. Les membres éminents de son conseil d’adminis-tration, tous experts en matière financière, jonglent avec des sommes dont l’écoute par moments lui donnerait le vertige. Elle a soudain la sensation grisante de fouler le terrain de ces grands sportifs des affaires qu’elle paye des fortunes pour les entendre jouer à l’enrichir. Peut-être de franchir la limite d’une chasse gardée ? Une lumière enfantine vient briller au fond de sa prunelle éteinte de principale actionnaire d’une grande marque automo-bile. Quelle bonne histoire à raconter, lundi prochain, autour de cette longue table de conférence, aussi ennuyeuse que les têtes qui la bordent, en face la baie vitrée qui domine la City. Nous nous accordâmes sur un prix qui remboursait largement les deux vieilles bouteilles d’absinthe qu’elle avait achetées, ainsi que la petite chaise et le taxi qui devait la ramener. Une fois chez moi, je commençai par essayer d’enlever l’affreux badigeon blanc, ce qui s’avéra plus facile que prévu, du fait de son épaisseur ; et ainsi, couche après couche, je vis apparaître sa peinture d’origine : un jaune ocre pour l’ensemble avec des touches de rouge carmin et de vert sombre pour les fleurs, la vannerie du panier, les croisillons et les feuillages. Ce qui donne à ce meuble un certain cachet 18e siècle accentué encore par le fait qu’elle soit assez basse, de dimensions modes-tes ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un siège d’enfant, mais pas nécessairement car c’est une modestie toute faite de grâce rustique et de naïveté villageoise, à l’exemple de ses couleurs, vives mais sans aucune vulgarité. On imagine, dans une autre époque, un godelureau de village s’en servant de repose-pied pour gratter sa guitare. Une chaise pour fête galante ! Si je devais la voir quelque part ou bien créée pour un lieu précis, ce serait un décor de théâtre ou une toile de Watteau. Je me rends le lendemain matin à la Bibliothèque des Arts Décoratifs, pour vérifier si André Mare aurait travaillé pour la scène. Et c’est ainsi que je pioche dans le catalogue d’une exposition de cet artiste, qui s’est tenue en 2005 au musée des Beaux-Arts d’Alençon -son pays natal, le pays d’Auge-, que la direction de l’Opéra Garnier a fait appel à lui pour la reprise, le 5 décembre 1921, d’une œuvre lyrique en un acte, l’Heure espagnole, composée par Maurice Ravel sur un livret de Franc Nohain, et donnée pour la première fois le 19 mai 1911, devant le public parisien de la salle Favart (Opéra-Comique). André Mare n’aurait-il pas pu placer ma petite chaise jaune au panier fleuri, sur le seuil de la boutique de l’horloger Torquemada ? Seulement, voilà ! en achevant de la décaper quelques jours plus tard, une estampille circulaire et des lettres me sont apparues en-dessous, gravées dans le bois de hêtre de son châssis : un panier fleuri et le nom André Groult. Je me lance dans des recherches autour de ce décorateur, dans la revue Art & Décoration d’abord, pour les années qui m’intéressent ; puis dans l’ouvrage que lui a consacré l’antiquaire et expert auprès des tribunaux, Félix Marcilhac ; pour y apprendre que la chaise que j’ai trouvée à la porte de Vanves est un modèle conçu en 1911 par Louis Süe dans les ateliers d’André Groult, dont il était alors un des dessinateurs. Je cite cet antiquaire : « Les premiers exemplaires de ce modèle de chaise, furent bien exécutés dans l’atelier d’André Groult et édités sous son nom, puisqu’ils portèrent son estampille. La chaise en noyer massif estampillée A. Groult, récemment acquise par le musée des Arts décoratifs de Paris, au cours d’une vente publique parisienne, pourrait l’attester. Sans doute, en s’associant en 1912 avec Huillard, pour créer l’Atelier français, Louis Süe souhaita-t-il reprendre ce modèle de siège qu’il avait dessiné pour André Groult afin de l’éditer sous son nom ». (3) Ma chaise est donc de Louis Süe. Ce qui expliquerait d’une part pourquoi le salon de ce dernier et Paul Huillard, exposé au Salon d’Automne 1912 et aujourd’hui dans les collections du musée des Arts Décoratifs, est en tout point semblable à ma chaise ; et d’autre part, la similitude de goût de son auteur avec André Groult, vers cette même époque (pour preuves, les petits sièges graciles que ce dernier éditera jusque dans les années 1920) ; mais aussi le fait que les deux hommes, Süe et Groult, aient revendiqué la paternité de ce petit meuble et qu’ils aient conservé « par devers eux, toute leur vie, chacun dans sa propre collection un exemplaire identique de ce modèle de chaise ». (F. Marcilhac, p. 59) Maintenant, pourquoi un modèle assez similaire est-il attribué à André Mare, dans le catalogue de l’exposition d’Alençon ? Même dossier arrondi en chapeau de gendarme avec enroulement de passementerie aux extrémités, panier ou corbeille rustique portant des roses ? Il faut peut-être en chercher la raison dans le fait que les artistes-décorateurs se prenaient assez librement des modèles à cette époque, ce qui ne sera plus aussi ouvertement le cas après la guerre. (1)Les archives de Louis Süe ont été versées à l’Institut Français d’Architecture en juillet 1983 par son neveu et ancien collaborateur, l’architecte Olivier Süe. Il s’agit d’un fonds éclectique qui rassemble à la fois la documentation relative aux réalisations architecturales –rendus, esquisses, plans de présentation et d’exécution, photographies anciennes, pièces manuscrites et dactylographiées, imprimés, maquettes -ainsi que celle relative à ses autres activités de décorateur, scénographe, peintre ou paysagiste occasionnel. (Ext. Archives d’Architecture du XXe siècle, vol. 1, p. 473-474). (2)Le Mobilier Français 1910-1930, par Evelyne Possémé (éd.Massin, Paris, 1999). « Canapé et fauteuil, 1912, Louis Süe et Paul Huillard exécutés par la maison Damon et Berteaux, hêtre laqué rouge, vert et beige, garniture cuir » (p. 57). (3)André Groult, décorateur-ensemblier du XXe siècle, par Félix Marcilhac (éditions de l’Amateur, Paris, 1997) p. 59.

LéopoldDiégoSanchez.

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